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BIG

BANG

CITY

VOYAGES

EN

MÉGAPOLES

D'ASIE

Qu'est-ce qui explose sinon soi-même,
la ville,
dans le cri.

BIG BANG CITY

Voyages en mégapoles d'Asie

Leméac Éditeur

Collection : Nomades

ISBN papier : 978-2-7609-3658-4

Nombre de pages : 304

En Europe, le livre est édité par Publie.net.

MOT DE L'ÉDITRICE 

Dans ces très beaux carnets de voyage, Mahigan Lepage explore huit mégapoles d'Asie : Manille, Jakarta, Beijing, Shanghai, Kolkata, Delhi, Mumbai et Bangkok. Huit monstres que le voyageur apprivoise en marchant, en se perdant, en fréquentant les cafés pour y écrire au jour le jour et arracher du texte au béton. Rien de touristique ici, rien de facile. 
Mahigan Lepage mêle récit, pensée et poésie tout en puisant dans la science et la philosophie pour chercher à descendre sous l’apparence de ces villes qui sont des univers en expansion.
Ces carnets sont d'abord et avant tout œuvre littéraire, écrite par un Nicolas Bouvier du XXI
e siècle.

EXTRAIT COURT

 

Il m’a d’abord fallu aller. Il n’y a vraiment que la marche.

Après, on s’en remet à la sensation. Les visions, et la colère ou la peur qu’elles suscitent. Sous un échangeur, dans un girlie bar, ou devant un corps nu étendu sur le béton, c’est le besoin de hurler le monde qui nous pousse à écrire.

Qu’est-ce qui explose sinon soi-même,

la ville,
dans le cri.

 

EXTRAIT LONG

 

Des villes nombres,

partent des trains pour la ville même.

 

Je veux dire: ce seraient vraiment des départs. Prendre un métro est une chose (il n’y a pas de métro à Jakarta), prendre un train pour une autre ville en est une autre. On connaît ça : c’est partir. Aller ailleurs, dans une autre ville. Ce jour-là, j’ai pris un train pour une autre ville : Bogor.

Est-ce que la distinction tient encore ? À mesure que la ville grandit, les trains interurbains deviennent quelque chose comme des métros. C’est encore partir, quand les villes ne se partagent plus ?

On a marché jusqu’à une station de train quelconque. On n’aurait pas pu dire une gare. Une station tout assiégée de ville, de bouis-bouis et d’échoppes. Au bas des escaliers, un rang de chauffeurs de taxi hélant fort les arrivants.

À Montréal, on appelle ça un train de banlieue. À Paris, un RER. C’est une hésitation entre un métro et un train interurbain. Ça t’emporte dans une autre ville, mais cette ville n’est pas nettement séparée de ta ville de départ ni des autres alentour. Les densités se rejoignent et se confondent. L’ensemble porte le nom étrange de conurbation, ou encore, à très grande échelle, de mégalopole. Peu importe les critères de désignation des urbanistes, c’est une perspective sur la ville, son aujourd’hui. Megalopolis est un horizon.

On allait à Bogor, parce qu’il y a des jardins botaniques là-bas. C’était un prétexte, vraiment : je voulais parcourir une grande étendue de ville. Parce que le fragment me souffre. Voilà ce qu’était mon désir.

Pourquoi? Il n’y avait rien à voir. C’est que la ville me devient trop familière aussi. Parfois, on aimerait retrouver la fraîcheur des débuts, quand il y avait beaucoup de remarquable. Il faudra faire avec la platitude.

Derrière les barbelés en bordure de voie, des toits, des départs de rue, des cours, des chantiers de construction, des petites shops (ces shops qui reviennent toujours, du même au même, pourquoi je ne suis pas capable de les nommer ou de dire ce qu’elles vendent? trop communes, je les défausse)...

Des villes de toits, je me disais, en regardant par la fenêtre du train, parce qu’on roulait en hauteur et que je ne voyais rien d’autre. Comme une tortue romaine. Une ville défendue.

Je me suis perdu. Je n’avais pas pris le bon train. Un contrôleur m’a averti, il trouvait sûrement étrange qu’un touriste aille par là (par où?). Je suis descendu à une station de nulle part. J’ai repris un autre train. Rien n’avait changé.

On cherchait les signes d’une transition. Entre Jakarta et Bogor subsistaient peut-être quelques kilomètres d’éclaircie? Je n’avais aucune idée d’où j’étais, mais à un moment donné, un surcroît de verdure : quelques découpes boisées, des carrés de champ, des maisons abritées sous des palmeraies.

C’était peu, et incertain. La ville, la ville encore. Et bientôt: Bogor. Une station. Au-dehors, rien n’avait changé. Les mêmes shops, étales. Et les marchands, et les taxis.

À Bogor, les taxis, ce sont des camionnettes vertes. Aucune importance, mais la couleur pour moi signifiait.

Parce que les couleurs permettent de symboliser. Auparavant, les villes, c’était des îlots de gris dans le vert régnant du paysage. Gris: couleur dominante du béton. Vert : couleur dominante de la non-ville (campagne, montagne...). Mais voilà, je me disais : maintenant que les villes sont devenues ces immensités, le rapport s’est inversé. Tant sont gigantesques les mégapoles et les mégalopoles, ce ne sont plus des îlots. En sortir est devenu difficile et même parfois hors de portée de ceux qui ne sont pas riches. Maintenant, c’est le vert qui se constitue en îlots au-dedans. La verdure que j’ai cru apercevoir entre Jakarta et Bogor, sûr qu’elle était «englobée» et non englobante. Et les jardins où ce taxi me conduit à présent, pareil. C’est un îlot de vert dans le gris.

C’est ça, aujourd’hui, qu’on appelait avant «partir» ou «sortir» de la ville. Aller à la campagne, ou dans une petite ville, pour beaucoup ici ce n’est pas possible ni même peut-être concevable. On prend le train du même au même : de la ville à la ville. Et les «sorties en nature», maintenant, c’est au-dedans. Aux Jardins botaniques de Bogor, par exemple.

Jardins assiégés de ville aussi : taxis, vendeurs... Et dedans, une oasis? Pas vraiment. Le nombre est là aussi. Peu de touristes étrangers, mais des masses d’Indonésiens venus des cités alentour. Et des bus dégorgeant des centaines d’écoliers en sortie «classe verte» à l’intérieur de la ville. De certains points de vue, on voyait passer les autos, les taxis verts, le grand flux englobant.

Et on s’imaginait l’île de Java devenue une immense mégalopole. On dit que c’est l’île la plus densément peuplée de la planète. Et si ses villes finissaient par se rejoindre, et que le vert, les montagnes, les parcs, les volcans ne formaient plus que des îlots et des bandes intérieurs où l’on va en week-end ou en classe verte?

Pour combien déjà le mot partir n’est plus le même.

PRESSE ET ÉCHOS

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