COULÉES
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Que dans plus grand et plus fort, plus fluide, tout cela soit emporté et noyé.
Éditions Mémoire d'encrier
Année : 2012
Nombre de pages : 100
ISBN papier : 978-2-923713-70-0
ISBN numérique : 978-2-89712-028-3
RÉSUMÉ
Je garderais, de toutes ces années d'entraves et d'isolement, une soif insatiable de déplacement et de vitesse, de villes et de voyages, un besoin inextinguible de mobilité, de courant, une pulsion de fuite en avant. Jusqu'au jour où je n'ai plus eu le choix, pour continuer d'avancer, que de retourner amont et d'entreprendre ces coulées, par lesquelles j'allais avoir à remuer des fonds d'inavouable, à déplacer des masses de temps inerte, qui encore me retenaient et me tiraient arrière. Que dans plus grand et plus fort, plus fluide, tout cela soit emporté et noyé – et ne demeurent finalement empreints, pour chaque territoire retraversé, que la couleur et le mouvement vifs d'une rivière.
Coulées : la Patapédia, l’Outaouais et le Bas-Saint-Laurent. Trois récits, trois lieux, trois traversées. Dans l’enchevêtrement des rangs, des villages et des villes, se font et se défont les rêves jusqu’à l’éclatement du territoire. Écriture de la voix. Écriture de la route. Une prose portée par l’amitié et la force des paysages.
EXTRAIT COURT
Je garderais, de toutes ces années d’entraves et d’isolement, une soif insatiable de déplacement et de vitesse, de villes et de voyages, un besoin inextinguible de mobilité, de courant, une pulsion de fuite en avant.
EXTRAIT LONG
Village après village, le car se vidait. Vers la fin, souvent, il n’y avait plus que le chauffeur et moi, et aussi parfois un dernier petit vieux, ou une petite vieille, qui, assis tout en avant, entretenait le chauffeur de choses sans importance.
Je m’asseyais tout au fond, me renfrognant dans ma solitude. Je regardais par la fenêtre. De l’autre côté de la rivière, des lignes à haute tension écharpaient des montagnes denses et rondes. On apercevait successivement : un train de marchandises, un garage, un pont couvert, un hameau, une gare désaffectée. Mais de ce qu’ils avaient bâti, partout, les hommes semblaient s’être absentés. C’était un monde minéral, aux parois de roc, aux machines de fer, monde qui risquait à tout moment de se briser en de grands éboulements de falaises. Transbahuté au fond du car, j’avalais encore quelques kilomètres de désolement.
Quand, au détour d’un méandre, surgissait enfin le pont tant attendu : le pont des Plateaux. Le car s’arrêtait quelque cent mètres plus loin, dans le parking d’un restaurant/station-service : chez Pitre. Le nom brillait au sommet d’un poteau de fer, à l’intérieur d’une enseigne en forme d’étoile.
Je vois mon père à travers la vitre fumée, il m’attend. Je descends. Je suis si content de le retrouver ! On s’embrasse, sur la bouche. Le trajet aura été un intervalle douloureux de vide et de solitude entre deux parents, entre deux embrassades.
Je monte dans le pick-up du père. C’est un homme fort et large, aux mains épaisses, aux épaules forgées par le travail de la ferme et du bois. L’homme et le camion semblent avoir été coulés dans un seul moule : même carrure, même force, même assurance. Je ne risque plus rien – je crois que je ne risque plus rien, bien installé dans l’habitacle du véhicule, réfugié sous l’aile fuselée du capot, mon père au volant.
Dehors, l’hiver se déchaîne de plus belle. L’homme a bravé la tempête pour venir me chercher, et ça me fait chaud en dedans. les flocons dévient sur le pare-brise incassable. Les roues du pick-up mordent dans la neige. La camionnette roule doucement vers le pont des Plateaux. Mon père me ramène à la maison.
La tempête, le froid, les tourments, l’hostilité du monde se brisent aux angles de la coque solide qui nous abrite. On avance dans le monde, et en même temps on en est protégé.
PRESSE ET ÉCHOS
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Danielle Laurin, «Les lieux que l'on porte en soi», Le Devoir, 23 juin 2012.
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Marie-Claude Girard, compte rendu de Coulées, La Presse, 21 juillet 2012.