LE FLEUVE
COLÈRE
“
il charriait les animaux malades
défenseurs du monde tel qu'il est
sur un mauvais quart de mille
Éditions du Noroît
Année : 2017
Nombre de pages : 176
ISBN : 978-2-89766-071-0
RÉSUMÉ
C’est une fable. L’histoire d’un fleuve, le fleuve colère, à travers les seiches et les crues, les chutes et les torrents. De la campagne à la ville, des plaines aux rocheuses, il va ses méandres. Capturé par un autre fleuve, il mettra des années à recouvrer sa liberté.
Dans des cascades de rire noir, le fleuve colère supplicie les animaux, défenseurs du monde tel qu'il est.
les chèvres et les boucs
il leur ouvrait le ventre
de la barbe au cul
à coups de lames noires
et les jetait en pâture
aux essaims de piranhas
EXTRAIT COURT
avec ton compagnon, tu ruisselais
tu cascadais
tu découvrais les villes
qui t'illuminaient de mille feux
tu aimais, approchant les cités
entendre grossir la rumeur colère
des moteurs et des klaxons
tu goûtais :
les gaz d'échappement
les cheminées des usines
le smog qui brouillait la ville
toutes fumées enivrantes
EXTRAIT LONG
en suivant le rocher très loin à l’ouest, ton méandre s’était retrouvé isolé
autour, rien
que des terres arides et un soleil de plomb
pour toute compagnie, des ânes qui ne savaient que se battre et ruer
comme tuteurs, les chèvres les plus médiocres de tous les cantons
cela bêlait à longueur de journée
et de leur gueule coulaient
d’écœurantes écumes
de matières régurgitées
après quelque temps de ce régime, ton fleuve s’est enfoncé
il a dégringolé dans une dépression close
qu’y avait-il, là-dessous?
de gigantesques réservoirs d’eau colère!
enfermé dans le noir, entre les parois de roche karstique, tu grondais, fleuve
tu accumulais les rancœurs, les amertumes
et les perversités
tu apprenais à tuer
intérieurement
souverainement
le rocher, tu l’attaquais
là-haut, à la surface, tes eaux s’y cognaient, s’y cognaient, s’y recognaient en vain
il ne bougeait pas d’un poil
mais ici, dans la dépression, tu accomplissais ce dont, à la lumière du jour, tu avais été empêché
tu frappais le rocher
tu l’atteignais
tu l’ébranlais
tu le perçais
tu l’érodais
tu le fracassais
tu le délitais
tu le pulvérisais
et les ânes, et les chèvres
tu en faisais boucherie
tu les noyais
tu leur faisais manger leur merde
tu leur fracassais la tête
tu les égorgeais
tu leur mettais une pomme dans la bouche
tu leur enfonçais un couteau dans la tête
tu leur arrachais les yeux, que tu donnais à manger aux poissons
tu leur ouvrais le ventre
tu en extirpais les viscères
puis tu rejetais tout ça au soleil
sur une berge oubliée
et tu laissais faire les mouches et les vers
de temps en temps, tu repassais par là
et ça puait la vieille charogne
ces effluves t’étaient parfums