Dans une ville glaciale capitale du bout du monde
Dans une ville glaciale capitale du bout du monde, Hakha et ses huit degrés Celsius en ce mois de janvier, Hakha et son plateau de terre roussie et chauve, Hakha et ses bâtiments en planches aux couleurs de bateaux, Hakha et son air de ville du Nord sous le tropique du Cancer, son air de ville portuaire à 2000 mètres d’altitude, au soir tombé on s’enfonce dans la cale d’un restaurant-bar, on s’installe dans une pièce sans fenêtres au plancher grinçant. Avec notre bouteille de bière Myanmar on nous apporte une soupe épicée, très poivrée, qui réchauffe l’intérieur et donne encore plus soif. À la table d’à côté des hommes à moitié endormis avalent des verres de rhum, fument des cheeroots, tandis que les jeunes serveuses se cachent derrière les embrasures, pouffent d’excitation à la seule vue d'un farang.
On roule notre sommeil sous une montagne de couverture, puis au matin on marche dans la rue affairée. Les industries lourdes occupent le centre de la ville : poches de sable, poches de gravier, poches de ciment; ateliers de mécanique, riz et farine en gros, trucks sales en train d’être chargés ou déchargés devant les commerces. Sur la colline, derrière les rangées de maisons multicolores, une grande traînée de poussière se lève, qui indique la route.
On pénètre dans le Hakha Town Café et on commande un double espresso. On n’en a pas bu la moitié que la jeune fille du café, qui parle l’anglais dans cette ville aux confins, vient nous voir et nous demande :
– Can I talk to you before you leave?
– Sure. What do you want to talk about?
– It’s my secret, elle répond mignonnement.
Au moment de partir, on la relance :
– So, what did you want to tell me?
– I want to see you again.
Et on se dit qu’il faut avoir du cran, quand même, pour accoster le farang dans ces montagnes.