top of page
E
E

À la halte de Bang Sue les grues tracent leur silhouette

#Bangkok-#NakhonPathom, #Thaïlande, 22 juillet 2019

À la halte de Bang Sue les grues tracent leur silhouette, pivotent au-dessus de grands arcs d’acier – future gare TGV à la main chinoise, grande fourmilière dont des corps s’échappent, ouvriers casqués qui s’assoient le long des vieilles voies, pour fumer et manger et boire un café. Notre wagon s’ébranle dans les chocs du fer, fenêtres baissées dans l’air moite de l’après-midi. On partage notre banquette avec deux gars : un étudiant qui va voir un ami à Nakhon Pathom, et un homme qui nous intrigue par son allure et ses manières. Au-dehors la ville se déchiquette, la verdure commence à gagner : champs fluo, étangs de vert doux, bananiers qui poussent comme de la mauvaise herbe. Des femmes fortes transportent de lourds paniers le long de l'allée, crient des mots de choses à boire et à manger. L’étudiant demande des glaçons : il les enveloppe dans une débarbouillette, s’en rafraîchit le front et la nuque. L’homme ne semble pas avoir chaud, qui est habitué au soleil plombant : il travaille au chemin de fer, s’en va à Cha-am pour réparer les voies, détordre le fer et redresser le bois. Il a des ricanements nerveux, des secousses du genou, des jeans troués, une chemise ouverte sur un pendentif compliqué : éléphant en faux ivoire, doublé d'un coffret renfermant une statuette de bouddha. Il a été moine, nous dit-il, pendant quatorze ans – sur son front dégarni sont des tatouages bouddhistes. Il a été marié aussi, pendant onze ans, dit-il, avant d’enfiler le froc orangé – sa vie d’adulte tout entière résumée, vingt-cinq années partagées entre le temple et le foyer. De la poche de sa chemise il sort une petite fiole, s'envoie une goutte de liquide turquoise : quel élixir, et pour quel bienfait? On ne le sait pas. Le type ricane encore, reprend ses secousses, se tourne vers la fenêtre, dit des mots dans un thaï pressé, difficile à comprendre. Il a l’âge moyen et au moins deux vies déjà. Ses pattes-d’oie disent peut-être le bonheur, ou peut-être la fièvre.

bottom of page