VERS L'OUEST
Éditions Publie.net / Mémoire d'encrier
Année : 2009/2011
Nombre de pages : 98
Collection : La Machine ronde
ISBN papier : 978-2-923713-59-5
ISBN numérique : 978-2-814502-85-7
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RÉSUMÉ
Vers l’Ouest, c’est un seul paragraphe. Un charroi. Mais d’un seul tenant, chaque fragment de temps imbriqué dans le suivant, aussi inexorablement que ces visages qui surgissent dans les trucks stops d’un Canada anglophone qui a gardé la violence originelle des défricheurs. Villes en pays dur, villes nées de leur propre éloignement, dans les rapports qu’elles imposent aux hommes.
Sauriez-vous comment dormir pour rien à Banff? Une camionnette de transport de bisons vous a-t-elle un jour laissé à St. Catharines (oui, ça s’écrit comme ça). Et quelles circonstances faut-il pour échouer à Petawawa?
“
On était plantés devant l'Arcade quand j'ai pris la décision de partir.
EXTRAIT COURT
Je garderais, de toutes ces années d’entraves et d’isolement, une soif insatiable de déplacement et de vitesse, de villes et de voyages, un besoin inextinguible de mobilité, de courant, une pulsion de fuite en avant.
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EXTRAIT LONG
Le trajet de l’Ontario à l’Alberta est passé comme on rêve, parce que je m’endormais, je me réveillais, je me rendormais, et les images et l’éclairage et les provinces changeaient. on mangeait toujours dans les truck stops, œufs bacon le matin, hamburger steak avec sauce gravy et mashed potatoes le reste du temps. Le patron était beaucoup plus vieux que les deux autres, c’était un maigre à tête blanche, un cow-boy très gentleman, il insistait pour payer à ma place. Moi qui étais parti avec seulement soixante dollars en poche, je n’aurais jamais pu me gaver d’autant de protéines autrement. Des jours et des nuits comme ça, à rouler, arrêter dans les truck stops, manger, nourrir les bêtes au travers des fentes de la remorque. Je m’endormais, je me réveillais, les deux jeunots s’échangeaient le volant de la camionnette où je voyageais. Je me rappelle la longueur de l’Ontario. Ma mère m’avait prévenu sur le papier brun, elle avait écrit Ne te décourage pas, le plus long c’est l’Ontario, après ça va vite. on ne voyait pas la fin des épinettes. Ce n’était rien que forêt dense éclaircie dans les creux du relief de petits lacs stagnants où séchaient des squelettes d’arbres gris et cassants. Enfin la forêt avait commencé à s’appauvrir, les champs peu à peu gagnaient. Il me semble avoir gardé une image de la transition entre la forêt et la prairie, une image enregistrée à l’endroit où était le panneau MANITOBA WELCOME. Je m’étais imaginé le Manitoba tout en prairies. Alors quand j’ai vu l’inscription MANITOBA WELCOME, j’ai cherché autour de moi les premiers signes de la prairie et bien sûr je les ai trouvés. On était encore dans la forêt, mais dans une forêt comme incertaine, agonisante. Les épinettes commençaient à se faire plus rares et plus maigres. C’était là, à cette frontière marquée d’un panneau, que la forêt finissait et que la prairie commençait. Bientôt la prairie avait gagné tout à fait. La route était si plane que la terre paraissait presque ronde, le ciel si large qu’il rognait sur l’horizon. Ici l’asphalte était jaune peut-être, jaune comme les champs de blé ou d’orge qui s’étendaient de tous côtés à perte de vue. Il y avait des voies ferrées et des silos à grain, comme on se les imagine, comme on les a vus en photo. On aurait pu appréhender une platitude, un ennui, et pourtant les prairies étaient bien moins plates que l’Ontario. L’asphalte se déroulait entre le long quadrillé des champs. Dans les prairies on est sur la terre. Nulle part ailleurs peut-être ne s’éprouve sentiment plus fort de la terre comme planète, de la terre comme astre compris dans plus grand. C’est la nuit qu’on le sent le plus. La voûte étoilée alors vous enveloppe complètement, vous subjugue. On ne voit plus la terre mais on la devine à l’envers de la voûte, comme en négatif. D’après ce qu’on en saisit, on ne peut être que dans l’espace, sur une planète. Et les phares du pick-up ouvraient sur cette planète une voie d’asphalte, on aurait dit que la lumière jaune étirait au- devant de nous les lignes et les couloirs de la route. La nuit dans les prairies, et on dort et on rêve. Et on traverse ainsi le Manitoba et la Saskatchewan.